Les adultes autistes son là, parmi vous
« Ils sont làààà… ». Cette réplique cinématographique laissée en suspens évoque avec un doux effroi le film Poltergeist qui a enfanté quelques accablantes nuits d’insomnie chez certains individus. C’est pourtant cette phrase toute banale qui rapplique impulsivement dans mon esprit quand on me demande où sont les adultes autistes aujourd’hui. En réalité, ils sont tout bonnement partout, tout autour de vous, mais vous l’ignorez tout simplement. Mais ne craignez rien, ils sont outrageusement pacifiques et avec les zombies, entités maléfiques ou monstres apeurants, ils ne partagent aucune similitude.
Car contrairement à certaines légendes urbaines malheureusement entretenues encore de nos jours, l’autisme n’est pas une maladie infantile qui s’estompe spontanément comme les picots cramoisis de la varicelle ou une mordante otite. Les individus sur le spectre autistique ne sont pas non plus apparus par génération spontanée depuis les 10 ou 15 dernières années, sortis d’une boite à surprise, comme la nouvelle ile volcanique issue de la chaîne d’Ogasawara ou la plastique mode des sandales Crocs.
Moi, avec le syndrome d’asperger?
J’ai été de ceux et celles qui glissent malencontreusement sous la vigilance du radar. La quête de mon diagnostic a suivi la longue introspection de trois décennies du « mais qu’est-ce qui cloche chez moi? ». Rien, ni malformation organique, ni maladie mentale, ni traumatisme crânien ne parvenait à expliquer avec une logique implacable mes malaises en compagnie de personnes pourtant familières, mon épuisement corporel intense lorsque je me retrouvais captive d’endroits bruyants, mon obsession pour certains champs d’intérêts pointilleux et souvent peu populaires.
Pourtant, encore aujourd’hui, même avec mon diagnostic officiel, on me répète, sourcils sévèrement froncés et avec la régularité prévisible d’un métronome que « Ça ne parait pourtant pas, en es-tu bien certaine? ». Mais qu’est-ce qui échappe donc effrontément à l’œil averti et qui ne le devrait pas? Comme si une courge bien mûre devrait me pousser en plein centre de l’os frontal ou si je devrais avoir la peau bleu ciel d’été comme les Na’vis dans Avatar.
Aujourd’hui, à me regarder, on ne remarque pas d’un premier coup de pupille que je suis autiste, bien qu’on sente un décalage un peu dérangeant chez moi à mon contact. Je suis donc une infiltrée insaisissable. Et je ne suis bien sûr pas la seule.
Ces autistes qui s’ignorent
Avant le début des années 90, aucun critère diagnostic pour le spectre autistique n’avait été couché noir sur blanc dans un manuel médical ou un DSM-III, IV ou V. Officiellement, seuls les autistes Kanner (autistes classiques) étaient reconnus. Mais le spectre autistique est immensément large, regroupant à une de ses extrémités des cas lourds et se perdant sur une courbe sans pallier qui rejoint la mal-nommée « normalité ». Donc les autistes adultes autonomes d’aujourd’hui n’ont jamais été détectés.
Vous en côtoyez sans aucun doute dans les méandres de votre vie quotidienne. C’est l’urgentologue un peu robotisé prestement croisé entre les murs immaculés de l’hôpital quand Ti-Lou s’est foulé deux phalanges à l’auriculaire gauche. Ses aptitudes sociales vous ont parues un peu réduites. Il vous a semblé indifférent même quand vous vous êtes montré inquiet à vous en ronger les ongles jusqu’aux trois quarts du poignet. À votre grand désarroi, il n’a pas semblé connaître l’usage des mots empathiques qui consolent ou rassurent même quand vous l’avez supplié de votre meilleur regard humide de caniche vulnérable. Mais il a fait un boulot technique impeccable. Vous ne pouvez pas lui enlever ça.
C’est Sam, votre dévoué technicien en informatique « toujours dans la lune » et qui ne pense qu’aux ordinateurs 26 heures sur 24. Sam vous récite avec peu d’expressions faciales, ce qui vous rappelle un peu monsieur Spock, les variantes des 58 versions d’un logiciel d’édition graphique dont vous ignoriez jusque là l’existence. Il ne saisit pas qu’il vous a perdu en route, entre la 3e et 4e variante de la version 2.1.
C’est votre collègue quotidien du boulot ou la distante nouvelle blonde de votre meilleur ami. Actuaire, notaire, professeure d’université ou artiste, elle n’a jamais marmonné un « salut ou bonjour » spontané en premier, lors des tristes lundis matins où le café fumant de la machine est votre meilleur réconfort. Elle qui zappe avec habileté les machinaux « Comment ça va? » tout en se taisant invariablement sur ses activités ludiques du week end. Vous constatez que vous la côtoyez depuis plus de 13 ans et demi et vous ne savez pratiquement rien d’elle et de sa vie. Vous avez déduit avec justesse qu’elle n’aime pas les mêmes choses que vous : voyages exotiques, téléromans émouvants ou sorties de filles en boite. C’est une inconnue familière et bien évidement, son mutisme constant vous dérange tout en vous étant bien incompréhensible. Vous êtes toujours gentille avec elle pourtant. Elle y met de la mauvaise volonté, pour vous c’est bien évident. Mais il n’en est rien. Il y a des éléments sociaux qu’elle ne maitrise pas.
Bien souvent, ils ne savent pas eux-mêmes qu’ils sont peut être autistes. La seule chose qui est translucide comme un cristal bien poli, c’est qu’ils se sentent différents de leur entourage. Différents et incompris. Et souvent, ils en cherchent silencieusement la raison, car l’anxiété continue leur est une très mauvaise compagne de vie. Compagne qui se vautre dans chacune de leurs activités et s’endort dans leur lit, bien blottie tout contre eux.
« On dirait que les gens sortent de la terre… »
Comme dit Joe Dassin dans sa magnifique chanson Les yeux d’Émilie : « On dirait que les gens sortent de la terre ». Les adultes autistes émergent d’un long silence. Je les vois apparaître en nouveaux arrivages à chaque semaine dans les groupes de discussion sur les réseaux sociaux, s’enquérant des ressources accessibles, d’un contact fiable pour une démarche en but d’un diagnostic enfin révélateur ou ils sont tout bonnement à la recherche de gens comme eux pour discuter enfin de leurs préoccupations et inquiétudes. Savoir enfin qu’ils ne sont pas la seule créature toujours vivante de leur espèce.
Ils sont souvent détenteurs de diplômes et d’un travail stable, cohabitent avec un conjoint aimant et de beaux enfants. Ils ont une vie similaire à la vôtre. Plusieurs découvrent leur autisme quand Maxime, Carolane ou Mathis est diagnostiqué et qu’ils réalisent qu’ils retrouvent dans leur progéniture l’enfant isolé et différent qu’ils ont été. Grand-maman Georgette dira bien entendu : « Oui, mais Jeannette était renfermée comme ça petite, on n’a jamais pensé qu’elle n’était pas normale ». Mais qu’est-ce qui est normal? Il faudra bien qu’on s’en reparle sous peu. D’autres encore, au hasard d’une lecture, se reconnaissent enfin. C’est souvent un soulagement et le début de réponses aux questions laissées en suspens depuis la petite enfance.
Pourtant, les autistes adultes ont toujours été là. Près de nous, c’est l’oncle Gaston qui était un vieux garçon grincheux et taciturne et qui s’occupait en solo de la ferme familiale héritée de ses parents. Plus loin, l’histoire nous a légué de grands penseurs dont les spécialistes s’accordent de plus en plus pour mentionner qu’ils avaient de flagrants traits autistiques: Newton, Marie Curie, Einstein, Alexander Graham Bell, Virginia Woolf ou Bill Gates. Ils ont marqué l’histoire à leur manière, comme beaucoup de non autistes.
Et l’avenir?
Les enfants autistes d’aujourd’hui sont les adultes autistes de demain. Ils ne cesseront pas pour autant d’être autistes et ne se métamorphoseront jamais en individu standard comme une chenille se mute en papillon monarque ou ne disparaitront pas dans un nuage de poussière argentée. Ces jeunes vont accéder aux études supérieures puis intégrer le marché du travail peu à peu avec une réalité qui n’est tristement pas adaptée à leurs particularités. Il faut donc les soutenir, leur faire une place, les reconnaître pour leur valeur et leurs forces. Il n’y a que la sensibilisation qui pourra faire mouche et éveiller des consciences.
Brigitte Harrison, travailleuse sociale et elle-même autiste, a affirmé par le passé que les adultes autistes sont actuellement « dans les 4 P » : « Ils sont en prison, en psychiatrie, chez leurs parents ou au paradis ».
J’ajouterais aujourd’hui, qu’il y a un 5e P : Partout. Oui, ils sont partout autour de vous. Moi et les autres.
«Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur. Elles ne représentent pas nécessairement les idées de l’ensemble des membres de Aut’Créatifs, ni ne sont une position officielle de l’organisme»
Bonjour Marie-Josée,
Si personne ne nous remarque alors que nous sommes « partout » (le 5è « P » comme vous dites), c’est bien la preuve que nous sommes acceptés, non ?
Alors pourquoi vouloir à tout prix être remarqués ?
Bonjour M. Palard,
Je me pêrmet de donner ma réponse personnelle,
Je ne crois pas que tous les autistes soient « acceptés »…tant qu’il y aura des remarques du style « il est dont bien dans la lune »… »sa réaction est immature et/ou froide » … » il est compétent dans sa matière, mais il semble dans un autre monde »…etc…tant que j’entendrai ce genre de remarque, j’aurai un doute sur notre « acceptation »…
Et pour la question de vouloir être remarqués, je crois que la vulgarisation de ce syndrome a encore et plus que jamais sa place. Certains « amis » ou employeurs, me trouvant parfois « bizarre », ou lunatique, ou immature n’ont probablement pas saisi que je suis Asperger. Les personnes de mon entourage qui le savent me pardonnent ces réactions différentes des « neurotypiques ». Et maintenant, au lieu de souligner mes faiblesses, en démarrant ma propre entreprise apicole, je peux développer ma passion parfois un peu spéciale dans le monde des abeilles… 🙂 et, dans fausse modestie, j’ai entendu des commentaires que j’étais excellent vulgarisateur dans ce domaine, un passionné…une sorte de « professeur Tournesol » des abeilles…
bref, le fait de vulgariser ce syndrôme aidera les neurotypiques à nous comprendre, et aidera les personnes, comme Marie-Josée, comme moi, comme ma fille, etc… à comprendre » qu’est-ce qui cloche dans ma tête »…et se rendre compte que nous sommes simplement « programmés » différemment…
Le tout sans aucune amertume, M. Palard, mais avec une intention de vulgariser encore et encore notre état d’Asperger… Salutations sincères à vous, M. Palard. de Robert Clermont
Bonjour Bruno,
Je me permets de laisser une petite réponse.
On ne nous remarque pas (pas tout de suite) mais on nous juge parce on trouve qu’on agit pas selon les attentes.
C’est justement parce que les gens remarquent très peu à première vue qu’ils vont être exigeantes et qu’ils vont attendre qu’on fonctionne comme les non autistes.
Personnellement, je trouve pas que l’expression « Vouloir à tout prix être remarqués » correspond à notre désir. Je dirais plutôt qu’on veux se faire accepter tel qu’on est, qu’on respecte notre nature unique.
au plaisir,
Bonjour Bruno,
Non, être partout ne signifie pas automatiquement être accepté… ce serait le paradis si c’était le cas! Et être remarqués, nous le sont tout le temps, mais pas pour les bonnes raisons, c’est là toute la difficulté.
Je vis invite à lire l’article suivant, qui vous donnera plus de détails sur notre différence:
http://52semaspie.blogspot.ca/2013/11/semaine-30-quand-ce-qui-ne-parait-pas.html
Être remarqués est justement le contraire de ce que nous souhaitons justement!
Bonne journée à vous.
Marie Josée Cordeau
Cet article reflète bien ma pensée de ces derniers jours. J’ai fait partie jusqu’à très récemment de ceux et celles qui ont toujours su et qui pourtant ne savent pas, qui n’ont pas trouvé le truc qui explique tout. Je suis tombée par hasard sur la réponse, qui m’a frappé comme la foudre.
Maintenant que je suis démasquée et heureuse de l’être, je repense aux gens que j’ai côtoyé et avec qui je parlais mieux qu’avec d’autres. Ceux qui semblaient aussi mal à l’aise que moi dans le monde des autres, qui avaient du mal à s’intégrer et qui me semblaient si riches à leur façon.
1%, ça semble peu mais au regard du nombre d’humains présents sur Terre, c’est énorme. Rien d’étonnant à ce que j’ai pu en croiser quelques uns au cours de ma vie. Et peut-être qu’aujourd’hui encore ils cherchent et ne se trouvent pas.
Je veux désormais participer au dépistage des autistes, pointer pour eux ce qu’il y avait à voir, quitte à rater mon coup de temps en temps.
Bon courage à tous.
Voilà,… Autiste Asperger je suis parmi vous depuis 1937. Mal aimé étant incapable d’aimer (comprendre) les « Autres. C’est seulement grace à certaines « habilités » que je peux survivre….