Communiqué, Opinion membre

Raconter l’autisme autrement

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RACONTER L’AUTISME AUTREMENT

Recommandations pour la terminologie de l’autisme dans les médias

Version PDF: Raconter l’autisme autrement Janvier 2015

Les connaissances sur l’autisme sont en pleine évolution. Malgré cela, une grande partie de la population ignore encore ce que signifie réellement être autiste, et les idées inexactes provenant de mythes populaires sont très répandues. Comme conséquence de cette désinformation, la terminologie qui fait référence à la condition autistique et aux personnes autistes est très variable. Souvent, elle prend une forme respectueuse, mais, sous d’autres formes, elle peut être dévalorisante.

Ce document se veut un guide s’adressant à toute personne qui travaille dans le domaine des communications. Selon les principes de la non-discrimination et du droit à une information juste, l’utilisation d’un langage adéquat est à recommander.

Ces propositions ont reçu l’appui du Docteur Laurent Mottron. Nous le remercions de son soutien.
Dr Laurent Mottron,
M.D., Ph.D., DEA, est chercheur à l’Hôpital Rivières-des-Prairies et au Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal, et professeur titulaire au Département de psychiatrie de l’Université de Montréal. Il se spécialise dans la recherche sur l’autisme.

Terminologie recommandée

Terminologie à éviter

De façon générale

- Condition
- Autisme/condition autistique
- Autiste/non autiste
- Variation neurodéveloppementale
- Variante neurologique

De façon générale

- Trouble, maladie, affection, pathologie
- Trouble du spectre autistique (TSA)
- Anormal/normal
- Trouble envahissant du développement
- Désordre, déficience neurologique

À propos de la personne

- Autiste
- Personne autiste
- Personne de nature (ou à l’esprit) autistique
- S’identifier en tant qu’autiste/être autiste
- Décrire les capacités, talents et aptitudes de la personne; en contexte : personne autonome/non autonome

À propos de la personne

- Personne atteinte d’autisme/souffrant d’autisme
- Personne avec autisme/en situation d’autisme
- Personne avec TSA/personne TSA/un(e) TSA
- Admettre/avouer être autiste
- Autiste de haut/de bas niveau (de fonctionnement)

Description

- Condition
- Caractéristique, particularité, trait
- Neurologie et sensibilités sensorielles différentes
- Différence
- Intérêt particulier, intelligence focalisée, passion
- Rituels, gestes
- Apprentissage non conventionnel
- Sens de l’humour propre à sa structure de pensée
- Variante du ressenti et de l’expression de l’empathie
- Fonctionnement autistique

Description

- Trouble
- Déficience, incapacité, déficit
- Lésions
- Anomalie
- Obsession, intérêts restreints
- Tics, manies
- Résistance aux méthodes d’enseignement
- Ne sourit pas/n’a pas le sens de l’humour
- Manque d’empathie
- Fonctionnement anormal

Pour contribuer à briser les mythes, voici quelques pistes utiles :

- Éviter de généraliser. Faire référence à la diversité des personnes autistes et à la neurodiversité humaine.

- Éviter d’utiliser le mot « autiste » pour décrire les attitudes publiques de manque de communication, ou comme un adjectif dont le but est la critique négative ou l’insulte.

Par exemple : « L’autisme des journalistes de Radio Canada », Dreuz Info, 16 novembre 2014

- Éviter de faire des comparaisons du type « Rain Man » et d’exagérer l’intelligence et les talents des autistes.

- Éviter de décrire la personne autiste comme étant plongée dans un isolement volontaire.

- Éviter de culpabiliser les parents, la société ou l’environnement.

- Éviter de parler de l’autisme comme d’une épidémie, d’une plaie sociale ou d’une tragédie. Cette façon de décrire l’autisme se reflète sur les personnes autistes elles-mêmes. Elle est dommageable pour l’estime de soi, surtout pour les enfants qui souvent ne comprennent pas bien, et favorise la discrimination.

- Nous reconnaissons que, comme toute personne humaine, chaque personne autiste possède un potentiel, des dons, des aptitudes, des qualités, etc., tout autant que des limites, des faiblesses, des défauts, des défis à affronter, etc. Les personnes autistes sont autant diverses entre elles que le sont les personnes non autistes.

- L’autisme est une caractéristique humaine qui peut, ou non, être accompagnée de dysfonctionnements. En soi, l’autisme n’est pas une maladie. Pour ces raisons, le vocabulaire de la pathologie est à éviter, y compris le mot « trouble ».

- L’autisme fait partie intégrante de la personne. Ce n’est pas un accessoire. Une personne autiste n’est donc pas « avec autisme ». À noter que cette formulation est un anglicisme.

- Des expressions comme « une personne TSA » sont incorrectes du point de vue de la langue : dire « un TSA » en parlant d’une personne autiste, c’est comme dire « un trouble »; « une personne TSA » signifie « une personne trouble » et « personne avec TSA » signifie « personne avec trouble ». Le respect de la dignité des personnes, ainsi que le respect de la langue et de la grammaire, justifient ces recommandations.

- Les « niveaux » d’autisme favorisent la discrimination. Il est préférable de parler des capacités, dons et talents de la personne, ainsi que de ses défis et difficultés.

Guide proposé par Marie Lauzon, Lucila Guerrero et Antoine Ouellette pour Aut’Créatifs, un mouvement de personnes autistes pour la reconnaissance positive de l’esprit autistique.

Opinion membre

L’air d’une personne

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Photographie: Lucila Guerrero, 2014

- Comment ça que tu es autiste ? voyons, tu n’as pas l’air !

Ah! la phrase qui revient…

Je souris. Indulgente. Compréhensive. À force de la vivre, j’ai appris à comprendre l’incompréhension.

- C’est vrai. J’ai pas l’air… parce que « l’air autiste » ça n’existe pas

Un autre mythe à détruire. Comme beaucoup d’autres qui parlent de nous les autistes. C’est simple: personne ne peut avoir l’air d’une chose qui n’existe pas. Et si vous avez le temps et l’envie de faire une petite recherche vous allez comprendre qu’on a l’air divers tout comme les non autistes.

Ça peut être comment « l’air autiste » selon toi ?

J’imagine la réponse. Des mots mystérieux mais je ne les écrirai pas. Je préfère laisser la place à des verbes: sourire, rire, pleurer, crier, danser, chanter, parler, travailler, créer, relaxer, protester, chercher… voyez vous? je parle de n’importe quel être humain.

« L’essentiel est invisible aux yeux » disait Saint-Exupéry et plus tard Élisabeth Emily, autiste asperger et maman d’un enfant asperger, qui l’a choisi comme titre pour son livre. Bien, notre « air autistique » c’est invisible. Pour moi, notre essence autistique réside dans notre perception et la structure de notre pensée. « Un autre intelligence » affirme Dr. Mottron.

Une communication directe, un langage simple, concret sans adjectifs inutiles. Plutôt informative. Sans le besoin de simuler un intérêt inexistant pour l’autre. Sans le besoin de chercher la sympathie. Invisible. Et de façon inconscient éloigne les gens mais j’ai le réconfort d’être moi-même.

Un humain pour qui il y a pas des hiérarchies. Qui a pas le besoin de compétition ou se faire un place en haut par rapport aux autres. Encore invisible et mal compris en conséquence.

Une perception intense détaillée qui peut nous émerveiller ou qui peut nous agresser. Qui se coupe d’un sens quand l’autre prend la place dans l’intérieur. Qui peut nous faire pleurer tellement l’émotion et belle. Évidemment invisible.

Si je parlais de moi je m’arrêterai là. Cela fait mon bonheur à la maison et des malentendus ailleurs. Malgré que j’aime les gens. Mais je répète, on est aussi divers comme vous les non autistes.

C’est certain qu’il existe aussi des caractéristiques qui pourraient être présents chez une personne autiste. Elle ne sont pas nécessairement déterminantes pour établir que l’a personne l’est. Ainsi, un trouble de langage, un trouble d’anxiété, un trouble obsessif-compulsif, une déficience intellectuelle, une hypersensibilité, de façon isolée, ne veut pas nécessairement dire que la personne est autiste. Il faudrait le noyau invisible. L’essence de la perception et la pensée.

Souvent, certaines de ces particularités pourraient provoquer la souffrance dont on peut voir la manifestation: une crise, des larmes, comportement inattendu, regard absent, etc. et ça expliquerait l’origine du fameux cliché.

J’espère avoir apporté une lumière à la confusion. Dorénavant vous saurez qu’un autiste à l’air d’une personne, tout simplement.

Par Lucila Guerrero

Site web: www.lucilaguerrero.com
Facebook: https://www.facebook.com/LucilaGuerreroArtiste

«Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur. Elles ne représentent pas nécessairement les idées de l’ensemble des membres de Aut’Créatifs, ni ne sont une position officielle de l’organisme»

Opinion membre

Les adultes autistes sont là, parmi vous…

Les adultes autistes son là, parmi vous

Par Marie-Josée Cordeau

« Ils sont làààà… ». Cette réplique cinématographique laissée en suspens évoque avec un doux effroi le film Poltergeist qui a enfanté quelques accablantes nuits d’insomnie chez certains individus. C’est pourtant cette phrase toute banale qui rapplique impulsivement dans mon esprit quand on me demande où sont les adultes autistes aujourd’hui. En réalité, ils sont tout bonnement partout, tout autour de vous, mais vous l’ignorez tout simplement. Mais ne craignez rien, ils sont outrageusement pacifiques et avec les zombies, entités maléfiques ou monstres apeurants, ils ne partagent aucune similitude.

Car contrairement à certaines légendes urbaines malheureusement entretenues encore de nos jours, l’autisme n’est pas une maladie infantile qui s’estompe spontanément comme les picots cramoisis de la varicelle ou une mordante otite. Les individus sur le spectre autistique ne sont pas non plus apparus par génération spontanée depuis les 10 ou 15 dernières années, sortis d’une boite à surprise, comme la nouvelle ile volcanique issue de la chaîne d’Ogasawara ou la plastique mode des sandales Crocs.

Moi, avec le syndrome d’asperger?

J’ai été de ceux et celles qui glissent malencontreusement sous la vigilance du radar. La quête de mon diagnostic a suivi la longue introspection de trois décennies du « mais qu’est-ce qui cloche chez moi? ». Rien, ni malformation organique, ni maladie mentale, ni traumatisme crânien ne parvenait à expliquer avec une logique implacable mes malaises en compagnie de personnes pourtant familières, mon épuisement corporel intense lorsque je me retrouvais captive d’endroits bruyants, mon obsession pour certains champs d’intérêts pointilleux et souvent peu populaires.

Pourtant, encore aujourd’hui, même avec mon diagnostic officiel, on me répète, sourcils sévèrement froncés et avec la régularité prévisible d’un métronome que « Ça ne parait pourtant pas, en es-tu bien certaine? ». Mais qu’est-ce qui échappe donc effrontément à l’œil averti et qui ne le devrait pas? Comme si une courge bien mûre devrait me pousser en plein centre de l’os frontal ou si je devrais avoir la peau bleu ciel d’été comme les Na’vis dans Avatar.

Aujourd’hui, à me regarder, on ne remarque pas d’un premier coup de pupille que je suis autiste, bien qu’on sente un décalage un peu dérangeant chez moi à mon contact. Je suis donc une infiltrée insaisissable. Et je ne suis bien sûr pas la seule.

Ces autistes qui s’ignorent

Avant le début des années 90, aucun critère diagnostic pour le spectre autistique n’avait été couché noir sur blanc dans un manuel médical ou un DSM-III, IV ou V. Officiellement, seuls les autistes Kanner (autistes classiques) étaient reconnus. Mais le spectre autistique est immensément large, regroupant à une de ses extrémités des cas lourds et se perdant sur une courbe sans pallier qui rejoint la mal-nommée « normalité ». Donc les autistes adultes autonomes d’aujourd’hui n’ont jamais été détectés.

Vous en côtoyez sans aucun doute dans les méandres de votre vie quotidienne. C’est l’urgentologue un peu robotisé prestement croisé entre les murs immaculés de l’hôpital quand Ti-Lou s’est foulé deux phalanges à l’auriculaire gauche. Ses aptitudes sociales vous ont parues un peu réduites. Il vous a semblé indifférent même quand vous vous êtes montré inquiet à vous en ronger les ongles jusqu’aux trois quarts du poignet. À votre grand désarroi, il n’a pas semblé connaître l’usage des mots empathiques qui consolent ou rassurent même quand vous l’avez supplié de votre meilleur regard humide de caniche vulnérable. Mais il a fait un boulot technique impeccable. Vous ne pouvez pas lui enlever ça.

C’est Sam, votre dévoué technicien en informatique « toujours dans la lune » et qui ne pense qu’aux ordinateurs 26 heures sur 24. Sam vous récite avec peu d’expressions faciales, ce qui vous rappelle un peu monsieur Spock, les variantes des 58 versions d’un logiciel d’édition graphique dont vous ignoriez jusque là l’existence. Il ne saisit pas qu’il vous a perdu en route, entre la 3e et 4e variante de la version 2.1.

C’est votre collègue quotidien du boulot ou la distante nouvelle blonde de votre meilleur ami. Actuaire, notaire, professeure d’université ou artiste, elle n’a jamais marmonné un « salut ou bonjour » spontané en premier, lors des tristes lundis matins où le café fumant de la machine est votre meilleur réconfort. Elle qui zappe avec habileté les machinaux « Comment ça va? » tout en se taisant invariablement sur ses activités ludiques du week end. Vous constatez que vous la côtoyez depuis plus de 13 ans et demi et vous ne savez pratiquement rien d’elle et de sa vie. Vous avez déduit avec justesse qu’elle n’aime pas les mêmes choses que vous : voyages exotiques, téléromans émouvants ou sorties de filles en boite. C’est une inconnue familière et bien évidement, son mutisme constant vous dérange tout en vous étant bien incompréhensible. Vous êtes toujours gentille avec elle pourtant. Elle y met de la mauvaise volonté, pour vous c’est bien évident. Mais il n’en est rien. Il y a des éléments sociaux qu’elle ne maitrise pas.

Bien souvent, ils ne savent pas eux-mêmes qu’ils sont peut être autistes. La seule chose qui est translucide comme un cristal bien poli, c’est qu’ils se sentent différents de leur entourage. Différents et incompris. Et souvent, ils en cherchent silencieusement la raison, car l’anxiété continue leur est une très mauvaise compagne de vie. Compagne qui se vautre dans chacune de leurs activités et s’endort dans leur lit, bien blottie tout contre eux.

« On dirait que les gens sortent de la terre… »

Comme dit Joe Dassin dans sa magnifique chanson Les yeux d’Émilie : « On dirait que les gens sortent de la terre ». Les adultes autistes émergent d’un long silence. Je les vois apparaître en nouveaux arrivages à chaque semaine dans les groupes de discussion sur les réseaux sociaux, s’enquérant des ressources accessibles, d’un contact fiable pour une démarche en but d’un diagnostic enfin révélateur ou ils sont tout bonnement à la recherche de gens comme eux pour discuter enfin de leurs préoccupations et inquiétudes. Savoir enfin qu’ils ne sont pas la seule créature toujours vivante de leur espèce.

Ils sont souvent détenteurs de diplômes et d’un travail stable, cohabitent avec un conjoint aimant et de beaux enfants. Ils ont une vie similaire à la vôtre. Plusieurs découvrent leur autisme quand Maxime, Carolane ou Mathis est diagnostiqué et qu’ils réalisent qu’ils retrouvent dans leur progéniture l’enfant isolé et différent qu’ils ont été. Grand-maman Georgette dira bien entendu : « Oui, mais Jeannette était renfermée comme ça petite, on n’a jamais pensé qu’elle n’était pas normale ». Mais qu’est-ce qui est normal? Il faudra bien qu’on s’en reparle sous peu. D’autres encore, au hasard d’une lecture, se reconnaissent enfin. C’est souvent un soulagement et le début de réponses aux questions laissées en suspens depuis la petite enfance.

Pourtant, les autistes adultes ont toujours été là. Près de nous, c’est l’oncle Gaston qui était un vieux garçon grincheux et taciturne et qui s’occupait en solo de la ferme familiale héritée de ses parents. Plus loin, l’histoire nous a légué de grands penseurs dont les spécialistes s’accordent de plus en plus pour mentionner qu’ils avaient de flagrants traits autistiques: Newton, Marie Curie, Einstein, Alexander Graham Bell, Virginia Woolf ou Bill Gates. Ils ont marqué l’histoire à leur manière, comme beaucoup de non autistes.

Et l’avenir?

Les enfants autistes d’aujourd’hui sont les adultes autistes de demain. Ils ne cesseront pas pour autant d’être autistes et ne se métamorphoseront jamais en individu standard comme une chenille se mute en papillon monarque ou ne disparaitront pas dans un nuage de poussière argentée. Ces jeunes vont accéder aux études supérieures puis intégrer le marché du travail peu à peu avec une réalité qui n’est tristement pas adaptée à leurs particularités. Il faut donc les soutenir, leur faire une place, les reconnaître pour leur valeur et leurs forces. Il n’y a que la sensibilisation qui pourra faire mouche et éveiller des consciences.

Brigitte Harrison, travailleuse sociale et elle-même autiste, a affirmé par le passé que les adultes autistes sont actuellement « dans les 4 P » : « Ils sont en prison, en psychiatrie, chez leurs parents ou au paradis ».

J’ajouterais aujourd’hui, qu’il y a un 5e P : Partout. Oui, ils sont partout autour de vous. Moi et les autres.

«Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur. Elles ne représentent pas nécessairement les idées de l’ensemble des membres de Aut’Créatifs, ni ne sont une position officielle de l’organisme»